MK2 Curiosity ou le cinéma pour tous
- ipagcinemotion
- 6 janv. 2021
- 5 min de lecture
A l’heure où les géants du streaming ont la mainmise sur la diffusion (et bientôt production) des films et séries, MK2 fait de la résistance et lance un ovni. MK2 Curiosity offre un concentré de cinéma hebdo, le tout gratuitement. Lancé lors du premier confinement, le groupe MK2 propose en streaming cinq œuvres variées chaque semaine. Pour vous présenter le concept on va parler de Turning Gate et de l’accès des Kennedy à la maison blanche : le programme de début Décembre.

Les amours, des amours
Dépeint sous toutes ses coutures, l’amour est le thème indéniable du programme de la semaine. Hong San-soo dans Turning Gate peint non pas une relation amoureuse mais l’amour et ses genèses. Non réciprocité, trop tôt ou trop tard : Gyung-soo, comédien raté aime comme tout le monde. En montrant l’amour tel qu’il est sans artifice, le film de 2002 est remarquable à tout point de vue. Turning Gate nous plonge dans la banalité sans fin des sentiments et ose porter à l’écran ce qui ne l'était pas pour le moment. Face à des scènes n’apportant rien scénaristiquement, le spectateur est dérouté. Il l’est d’ailleurs d’autant plus avec le personnage principal. Gyung-soo est animé d’aucune force. Sans étincelle de vie, il refuse d’ailleurs la vie. Gyung-soo n’aime pas mais subit les sentiments. Tantôt il échappe à la relation puis il essaye de courtiser son amour mais dans les deux cas, il n’initie aucune action. Gyung-soo aime mollement. L’amour est abordé dans le documentaire Primary, sous une forme bien différente. Ici il s’apparente à la dévotion que porte John F. Kennedy pour son pays. Il en fait d’ailleurs la plus belle démonstration lors de son discours post-électoral. Il affirme alors aimer profondément son pays ainsi que ses concitoyens et promet de dédier son mandat à placer les Etats-Unis sur le devant de la scène internationale, à régler le problème du déficit national, mais aussi à faire du monde un endroit meilleur.
Crises
Le documentaire a beau rendre hommage à Kennedy il n’est pas pour autant propagande. La crise sociale endurée par les Etats Unis en 1960 est traitée de fond en comble. On voit alors ces derniers traverser des climats politique et économique épineux, avec notamment la guerre nucléaire sous la menace soviétique, la bipolarisation du monde et le chômage très élevé en Virginie du Sud. Cet état a franchi le seuil des 16 %, soit le double du taux de chômage national. On y apprend les conséquences désastreuses qu’a eu le recul de l’industrie du charbon sur l’économie américaine de l’époque.
Moins économique mais plus romantique, Turning Gate explore les crises internes et les confronte à l’apparence physique. Certaines scènes sont profondément violentes (beuverie, l’annonce au téléphone d’adultère…) et pourtant les personnages restent de marbre. La coupure entre les sentiments et leur expression est consommée et créer une multitude de personnages perdus. Le film agit presque comme une quête métaphysique (scène de la voyante) et le résultat n’est pas forcément celui qu’on escompte. Le meilleur ami romancier incapable de déclarer sa flamme et doit renoncer à son amitié pour surmonter sa douleur. Myung-sook vit à travers Gyung-Soo et sombre peu à peu dans une dépendance destructive. Enfin, le dernier personnage à entrer en jeu, Sun-young est à peu près stable mais rejette Gyung-soo. Tous ces portraits atypiques sont entrecoupés de scènes floues, de trajets et de lenteurs interminables ; le spectateur est aux côtés des personnages et ces deux derniers sont suspendus dans le temps.
Scène du quotidien
De même, les reporters en charge du documentaire ont filmé John F Kennedy de façon à capturer des scènes de son quotidien, pour ne pas seulement le représenter en tant que président inaccessible mais également en tant qu’homme. Le film est ainsi tourné pour que le spectateur s’immerge dans l’intimité du président. Il est ainsi désacralisé. On l’observe lorsqu’il plaisante avec sa sœur tandis qu’il signe des cartes de vœux pour ses neveux, mais aussi rire avec son conseiller d’une lettre provenant d’un admirateur. Il se plaît également à passer en revue ses tableaux préférés devant ses collaborateurs.
Turning Gate entasse les banalités et, à priori, un tout peu digeste. On pense par exemple aux scènes sans queue ni tête (celle avec la soupe qui aurait des vertus peu orthodoxes), au scénario peu clair et à l'esthétique lisse ne donnant aux spectateurs que peu de repères. Hong San-soo joue avec ce matériau brut et l’élève au rang d’art.
Histoire, société et culture
Enfin Primary est avant tout une œuvre historique. On y présente les États-Unis durant son âge d’or lorsqu’ils se sont alors partagé la couronne du monde avec les soviétiques, dans un contexte de guerre froide. Tout au long du film, l’ennemi rouge est abordé. On nous révèle la peur bleue d’une guerre nucléaire entre les deux camps qui ont chacun rechigné à baisser les armes le premier. On assiste en direct à la bipolarisation de nouvelles contrées tel que le tiers monde où ils ont organisé des expéditions en Inde, en Afrique, etc… Ici, le focus est mis sur l’Éthiopie qui est tiraillée entre les deux blocs. La montée du nationalisme africain est également mentionnée. L’état de « gendarme du monde » y est d’ailleurs questionné dans une scène durant laquelle un économiste s’interroge sur les conséquences néfastes que peuvent engendrer de trop nombreuses interventions sur le plan international. Ce documentaire a été révolutionnaire pour l’époque car pour la première fois on y voit le côté fragile des États-Unis qui ont alors tenté de pallier divers problèmes sociétaux.
Autre continent et autre culture avec la Corée. Turning gate épouse complètement son ancrage géographique. Paysages, mœurs, folklore local (conte du serpent et de la foudre) tout est montré. Aussi, l’hommage à la religion et la mystique est plutôt bien réussi. On est plongé dans un monde où les croyances sont fortes et où il existerait une certaine balance divine. Enfin, comme montré précédemment des thèmes familiers sont abordés avec un angle complètement différent et cela peut être, dans une certaine mesure, l’expression-même d’une autre culture. On pense par exemple à l’amour presque tabou, le rapport à l’alcool bien différent et enfin l’importance des apparences.
Vous l’aurez compris, on est bien loin des films contemporains produits par Netflix ou Disney. Le divertissement est autre et se cache ailleurs. MK2 en tant que véritable philanthrope met un coup de projecteur sur des films oubliés ou jusqu’à là ou réservés à une certaine élite. Aussi, en donnant des clés de lecture (l’édito filmé), le spectateur est armé à une meilleure compréhension des films. Désacraliser le cinéma et le rendre accessible c’est aussi ça le rôle des distributeurs. C’est donc avec espoir que l’article se clôt ; l’espoir de voir une année 2021 emplie d’initiatives comme celles-ci et d’espérer un cinéma pluriel et fier de rendre hommage à son patrimoine.
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